<< Retour aux articles
Image

Mandat d’arrêt européen : la France peut continuer d’en émettre

Pénal - Procédure pénale, International
12/12/2019
La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a dû se prononcer sur le fait de savoir si le ministère public constitue, ou non, une « autorité judiciaire d’émission » d’un mandat d’arrêt européen (MAE). 
Les questions préjudicielles concernent l’exécution de deux mandats d’arrêt européens, respectivement au Luxembourg et aux Pays-Bas. Ces mandats ont été émis par le procureur de la République près le TGI de Lyon et par le procureur de la République près le TGI de Tours aux fins de poursuites pénales.
 
Par ces questions, examinées ensemble, les juridictions de renvoi demandent :
  • d’une part, d’apporter des précisions sur l’exigence d’indépendance de l’« autorité judiciaire d’émission » d’un mandat d’arrêt européen ;
  • d’autre part, de se prononcer sur l’exigence de protection juridictionnelle effective devant être assurée pour la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt. 
La CJUE va venir enrichir sa jurisprudence récente (CJUE, 27 mai 2019, n° C-508/18 et 509/18, CJUE, 9 oct. 2019, n° 489/19) relative à la décision-cadre 2002/584 portant sur le mandat d'arrêt européen en précisant la notion d'« autorité judiciaire d’émission » et sur l'exigence de protection juridictionnelle effective.

L’indépendance du Parquet français remise en question
Dans un premier temps, la Cour du Luxembourg rappelle que la notion d’ « autorité judiciaire d’émission » sous-entend, au regard de l’article 6, §1 de la décision-cadre 2002/584, l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission, compétente pour délivrer un MAE.
 
Selon la jurisprudence de la Cour, cette notion « est susceptible d’englober les autorités d’un État membre qui, sans nécessairement être des juges ou des juridictions, participent à l’administration de la justice pénale de cet État membre et agissent de manière indépendante dans l’exercice des fonctions inhérentes à l’émission d’un mandat d’arrêt européen ».
 
Elle rajoute que « ladite indépendance exigeant qu’il existe des règles statutaires et organisationnelles propres à garantir que l’autorité judiciaire d’émission ne soit pas exposée, dans le cadre de l’adoption d’une décision d’émettre un tel mandat d’arrêt, à un quelconque risque d’être soumise notamment à une instruction individuelle de la part du pouvoir exécutif ».
 
Les juges s’interrogent alors sur le fait de savoir si les membres du parquet agissent de manière indépendante dans l’exercice des fonctions inhérentes à l’émission d’un MAE. Dans ce contexte, il est rappelé que :
  • l’article 64 de la Constitution garantit l’indépendance de l’autorité judiciaire ;
  • l’article 30 du Code de procédure pénale dispose que le ministre de la Justice peut adresser des instructions générales de politique pénale aux magistrats du ministère public, ce qui sous-entend qu’ils exercent leurs fonctions de manière objective, sans intrusion individuelle émanant de l’exécutif ;
  • l’article 31 du même Code prévoit que « le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi ».
Pour la CJUE, « de tels éléments suffisent à démontrer que, en France, les magistrats du parquet disposent du pouvoir d’apprécier de manière indépendante, notamment par rapport au pouvoir exécutif, la nécessité et le caractère proportionné de l’émission d’un mandat d’arrêt européen et exercent ce pouvoir de manière objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge ».
 
Elle rajoute que la notion d’« autorité judiciaire d’émission » peut s’appliquer aux « magistrats du parquet d’un État membre, chargés de l’action publique et placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques, dès lors que leur statut leur confère une garantie d’indépendance, notamment par rapport au pouvoir exécutif, dans le cadre de l’émission du mandat d’arrêt européen ».
 
Indépendance du ministère public français que l’avocat général, M. Manuel Campos Sánchez-Bordona, a remis en cause dans ses conclusions. Pour lui, il ne pouvait être qualifié « d’autorité judiciaire d’émission ». Deux problèmes : la possibilité pour le pouvoir exécutif de donner des instructions générales aux procureurs, ce qui peut affecter leur indépendance, et la structure hiérarchique des parquets. Avis non suivi.
 
Une protection juridictionnelle attendue
Concernant le droit à une protection juridictionnelle effective, la personne recherchée doit être protégée à deux niveaux :
  • protection judiciaire lors de l’adoption d’une décision telle qu’un mandat d’arrêt national ;
  • les droits fondamentaux qui protègent lors de l’émission du MAE dans les plus brefs délais suite à son adoption.
Rappelons que, dans l’ordre juridique français, dans le cas de l’émission d’un MAE aux fins de poursuites pénales, un mandat d’arrêt national doit être décerné par une juridiction. Le ministère public est ensuite compétent pour décerner un MAE et va apprécier les conditions nécessaires à l’émission d’un tel mandat et son caractère proportionné. En tant qu’acte de procédure, la décision d’émettre un MAE peut faire l’objet d’une action en nullité. Ainsi la procédure offre la possibilité aux parties de faire respecter leur droit.
 
« L’existence, dans l’ordre juridique français, de telles règles procédurales met ainsi en évidence que le caractère proportionné de la décision du ministère public d’émettre un mandat d’arrêt européen peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel préalable, voire quasi concomitant à son émission, et, en toute hypothèse, après l’émission du mandat d’arrêt européen, cet examen pouvant alors intervenir, selon le cas, avant ou après la remise effective de la personne recherchée » précise la Cour. Ainsi, le système répond à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective.
 
En outre, les juges du Luxembourg estiment que les exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective sont remplies si la législation de l’État membre d’émission assure un contrôle juridictionnel des conditions de délivrance du mandat d’arrêt européen et notamment son caractère proportionné.
 
La juridiction européenne a aussi englobé d’autres cas dans son arrêt et précise que les parquets suédois et belge répondent aussi « aux exigences requises » pour émettre des MAE.

CJUE, 1re ch., 12 déc. 2019, n° C-156/2019, ECLI:EU:C:2019:1077
 
Source : Actualités du droit