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Comparution immédiate et droit de se taire : censure du Conseil constitutionnel

Pénal - Procédure pénale
05/03/2021
Sont contraires à la Constitution des dispositions de l’article 396 du Code de procédure pénale relatives à la procédure de présentation devant le JLD dans le cadre d’une comparution immédiate, faute d’information du prévenu sur son droit de se taire.
Une question prioritaire de constitutionnalité a été posée sur les dispositions de l’article 396 du Code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019.
 
Rappelons, l’article 395 du Code de procédure pénale prévoit que le procureur de la République peut saisir le tribunal correctionnel selon la procédure de comparution immédiate pour le jugement de certains délits. Le prévenu est retenu jusqu’à sa comparution, devant avoir lieu le jour même. Néanmoins si la réunion du tribunal n’est pas possible, le procureur de la République peut alors estimer que les éléments exigent un placement en détention provisoire. L’article contesté permet alors à ce dernier de traduire le prévenu devant le JLD pour un placement jusqu’à sa comparution qui doit intervenir au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. Le juge statue alors sur les réquisitions du ministère public « après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat ».
 
Le requérant reproche aux dispositions de méconnaître le principe de la présomption d'innocence, dont découlent le droit de se taire, ainsi que les droits de la défense. En effet, elles ne prévoient pas que le juge, saisi aux fins de placement en détention provisoire dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate, « doit notifier au prévenu qui comparaît devant lui son droit de garder le silence ».
 
Pour Romain Neiller, Associé au sein du cabinet SMGN et avocat du requérant « Les pouvoirs du JLD lui permettant d'incarcérer le prévenu, après avoir recueilli ses observations sans lui notifier son droit au silence, sont les éléments d’une contrainte diffuse, mais forte, qui s’exercent sur le prévenu, lequel peut être tenté de s'auto-incriminer pour échapper à la détention ».
 
Le Conseil constitutionnel, en se fondant sur l’article 9 de la DDHC, retient alors que :
- le JLD qui se prononce sur la justification d’un placement en détention provisoire, mesure qui doit rester exceptionnelle, doit décider par une ordonnance motivée « énonçant les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement », le juge peut donc « porter une appréciation des faits retenus à titre de charges par le procureur de la République dans sa saisine » ;
- et « le fait même que le juge des libertés et de la détention invite le prévenu à présenter ses observations peut être de nature à lui laisser croire qu'il ne dispose pas du droit de se taire », et si la décision du juge est sans incidence sur l’étendue de la saisie du tribunal correctionnel, les observations du prévenu peuvent être portées à la connaissance du tribunal lorsqu’elles sont consignées dans l’ordonnance du JLD ou le procès-verbal de comparution.
 
Les Sages concluent : « en ne prévoyant pas que le prévenu traduit devant le juge des libertés et de la détention doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées portent atteinte à ce droit ». Les dispositions doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.
 
La date d’abrogation est reportée au 31 décembre 2021. Et les mesures prises avant cette décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. Toutefois, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité, « jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi, le juge des libertés et de la détention doit informer le prévenu qui comparaît devant lui en application de l'article 396 du Code de procédure pénale de son droit de se taire ».
 
Cette décision est « très satisfaisante » pour l’avocat du requérant. Néanmoins, il regrette que « Le Tribunal correctionnel avait jugé la question dépourvue de sérieux... Les différentes étapes de cette procédure achèvent de nous convaincre que les juges du quotidien ne doivent plus considérer les questions relatives aux droits fondamentaux comme des sujets de doctrine, mais comme des questions majeures et ainsi enfiler leurs habits de gardien des libertés ».
 

Notons que cette décision est une première brique. Des QPC ayant été renvoyées au Conseil constitutionnel en février concernant l’article 199 du Code de procédure pénale, lequel organise les débats devant la chambre de l’instruction. Pour la Cour de cassation, ces dispositions, ne prévoyant pas de notification préalable à la personne détenue de son droit de se taire, porteraient atteinte au droit de la personne détenue de ne pas s’accuser (v. Chambre de l’instruction et droit de se taire : des QPC renvoyées, Actualités du droit, 12 févr. 2021). Réponse attendue du Conseil constitutionnel.
 
 
 
 
Source : Actualités du droit